Like a ghost

On devrait déjà être loin d’ici, à des kilomètres, à l’autre bout du monde… Alors pourquoi sommes-nous toujours à Missoula ? A croire qu’il y aura toujours des complications. J’aimerais pourtant prendre le premier train avec Garrett et partir loin d’ici pour ne jamais revenir. Partir loin de tout. Quand est-ce que cette vie nous offrira un peu de répit ? A croire que nous avons été maudits dès la naissance, ce doit probablement être quelque chose dans ce gout-là. J’ai toujours été du genre optimiste pourtant, Garrett se demandait souvent comment je me débrouillais pour toujours voir les bons côtés des choses, c’était surtout ma manière de tenir le coup. C’est ce que j’essaie de continuer de faire aujourd’hui encore, même si certains jours sont plus compliqués que d’autres. Ne pas savoir combien de jours, de mois ou d’années il me reste à vivre n’est pas le pire de ma situation, ce sont plutôt les douleurs atroces et régulières qui me donnent l’impression de me consumer. Parfois la douleur est tellement puissante qu’il m’arrive de penser que ce sera la dernière fois, qu’après cet ultime effort je pourrais me reposer pour l’éternité… Mais je ne veux pas mourir, peu importe si je dois continuer de souffrir jour après jour, je ne veux pas abandonner Garrett, il a besoin d’avoir quelqu’un à ses côtés et il ne lui reste que moi.

Installé à la table d’un restaurant, j’apprécie l’ambiance de cet endroit. Je suis nostalgique de cette période où la roue semblait enfin tourner en notre faveur, après que… Après la mort de Damian, nous avons eu la chance de pouvoir recommencer à zéro avec Garrett. Nous avons enfin pu exister pour nous-même, être libre, tenir un restaurant, travailler comme toute personne était un rêve enfin accessible. Les choses simples de la vie peuvent suffire à rendre un homme heureux et je n’ai jamais rêvé de liasses de billets, de palaces et jacuzzi, juste d’une vie normale avec les personnes que j’aime. A croire que moins on en demande à la vie et moins on en a… Positif Jace ! Tu n’as pas le droit de penser de cette façon, Garrett compte sur toi.

C’est la vue d’un fantôme qui vient me tirer de mes songes. Quand mon regard se pose sur la vitrine pour observer dehors et que je le vois… J’ai l’impression de devenir fou et mon cœur loupe un battement. Ce n’est pas possible… Ou alors c’est encore un jeu de l’unité ? Je ne sais pas. Je ne comprends pas. Peut-être que c’est ça, je perds la tête. Ou alors je suis mort sans m’en rendre compte et mon âme a naturellement retrouvée son chemin vers celle de Damian ? Je crois quand même que je m’en serais rendu compte si j’avais perdu la vie. C’est… Je n’ai même pas de mots pour expliquer mon ressenti à cet instant. Je lâche rapidement un billet sur la table que j’occupe et quitte le restaurant, y abandonnant même mon dessert ! Mais j’ai besoin d’en avoir le cœur net, de vérifier si c’est lui ou juste moi qui hallucine. Alors je suis cet individu, détaillant sa silhouette que je saurais reconnaître entre toutes. Puis je me rappelle que Damian est mort, je l’ai vu de mes propres yeux se prendre une balle et s’écrouler… Il est forcément mort, ce n’est pas lui, ce n’est pas possible.

Je crois qu’il remarque être suivi, autrement la réaction aurait été autre lorsque je me décide enfin à engager le contact. Ma main vient se poser sur son épaule pour attirer son attention et la seconde suivante je me retrouve à tourner sur moi-même pour finir plaqué face contre un mur, ma main censée être posée sur son épaule étant bloquée dans mon dos. Tu parles d’un accueil ! Le placage n’a rien d’agréable mais je m’en fous à cet instant, j’ai juste besoin de comprendre ce qu’il se passe, de savoir si c’est vraiment lui.

« Damian c’est moi, Jace ! »

Je me retrouve comme un idiot à prononcer un prénom qui n’est peut-être pas celui de cette personne. Je n’arrête pas de me dire que Damian est mort, que ce n’est pas possible, pas normal, mais en même temps… J’ai besoin de croire qu’il a pu survivre, que j’ai une chance que ce soit bel et bien lui, que j’ai un espoir de le retrouver. Pitié Damian, dis-moi que je ne suis pas fou.

« C’est toi n’est-ce pas ? Je t’en prie, dis-moi que c’est vraiment toi… »

Je suis toujours maintenu face contre le mur mais je ne cherche même pas à me dégager de sa prise, je ne veux pas qu’il continue de me prendre pour un ennemi, je veux juste avoir cette information extrêmement importante. Et s’il décidait de m’attaquer… Je ferais en sorte de me défendre comme je peux, avec ce nouveau corps je suis plus résistant avant après tout.

J’ai l’impression de voir un fantôme déambuler devant moi, comme si… Ce n’était pas réel. Pourtant c’est bien lui que je touche, enfin c’est surtout lui qui me touche en réalité parce que ma main agrippe à peine son poignet qui serre ma gorge. Je crois que je suis bien trop choqué de le voir debout devant moi pour avoir envie de me dégager de cette prise. Je préfère encore qu’il m’étrangle plutôt qu’il disparaisse à nouveau. C’est toi Damian, n’est-ce pas ? J’ai un doute lorsque je vois ce regard si différent de celui que je connais. Que t’est-il arrivé Damian ? Que t’ont-ils fait ? Je n’aime pas ce regard, ce n’est pas le tien, celui-ci est… effrayant. Puis quelque chose change, comme si tu semblais redevenir toi-même, comme si tu sortais d’un état de transe et je sais alors que c’est toi. Maintenant je reconnais ces yeux mais j’ai peur qu’ils aient pu les imiter d’une manière ou d’une autre. Ta main me libère et je te vois reculer, perplexe, perdu, culpabilisant. Je ne t’en veux pas Damian, regarde je vais bien, tu n’as pas besoin de t’excuser.

« C’est rien, tu ne m’as pas fait mal, ça va aller. »

L’ancien Jace aurait probablement morflé d’un tel placage, mes os étaient tellement faibles à l’époque qu’ils se brisaient au moindre contact trop brusque, mais je n’ai plus le même métabolisme à présent. Je suis plus résistant et tu auras l’occasion de le remarquer. Et toi Damian, à quel point as-tu changé ? Tu recules de quelques pas et ton regard est fuyant. Pourquoi ? Depuis quand n’oses-tu plus me regarder dans les yeux ? Depuis quand cherches-tu à me fuir ? Tu ne peux pas juste revenir et te tenir à distance, je ne l’accepterais pas. J’ai besoin de te retrouver Damian, d’une manière ou d’une autre.

« On a tous subi des changements… Mais je sais que ton cœur est le même, je le vois dans tes yeux. »

Même si durant quelques secondes ton regard était différent, méconnaissable… Là je retrouve les yeux du Damian que j’ai connu. Je ne sais pas ce que tu as subi durant toutes ces années, je ne sais pas si j’ai réellement envie de le savoir mais Damian… Je ne peux pas te laisser disparaître alors que je viens tout juste de te retrouver alors par pitié, arrête de reculer. Je prends le risque de m’approcher, lentement pour ne pas le brusquer.

« Que t’est-il arrivé Damian ? Je t’ai vu mourir… »

Et j’ai eu tellement de mal à m’en remettre, à l’accepter, que c’est étrange de te voir à nouveau en chair et en os devant moi. Dis-moi que je ne deviens pas fou… Dis-moi que ce n’est pas un nouveau jeu de l’unité parce que je crois que je ne supporterais plus de jouer leur bon cobaye. J’ai besoin que les choses changent, au moins pour le temps qu’il me reste encore à vivre. Je prends le risque d’initier un contact, de tendre ma main vers la tienne sans savoir si tu me laisseras faire, sans savoir si tu me repousseras ou reculeras. J’ai besoin d’avoir à nouveau un contact, comme si je voulais vérifier que tu es bien réel, c’est mieux que la distance de toute façon.

« Dis-moi ce qu’il s’est passé. »

Raconte-moi tout, les bons moments s’il y en a eu et même les mauvais, j’arriverais à les supporter pour toi, j’arriverais à te les faire oublier d’une manière ou d’une autre. Tu m’as sauvé Damian. Tu as sauvé Garrett également. Ne t’attends pas à ce que je ne te sauve pas en retour, tu es probablement celui qui mérite le plus d’avoir une vie heureuse.

Je vois à quel point tu doutes, j’imagine que c’est normal mais moi je ne doute pas de toi, Damian. Je ne douterai jamais de toi parce que je sais qui tu es au fond. Je sais l’homme que tu as toujours été et que tu seras toujours. Peu importe les changements, peu importe les épreuves, rien ni personne n’effacera le Damian que j’ai connu. Je ferais tout pour l’en empêcher. Mais il faut que tu me racontes ce qu’il t’est arrivé pour que je puisse t’aider. J’ai besoin de savoir et Garrett voudra savoir lui aussi lorsqu’il te reverra. Notre trio va finalement pouvoir se reformer et j’aimerais sourire à cette idée, mais ce n’est pas vraiment le bon moment pour laisser exprimer ma joie alors que Damian va mal, ou en tous cas il n’est pas tout à fait lui-même.

Ma main vient attraper la sienne et à nouveau il ne manque pas de réagir à ce contact. Je me retrouve une fois de plus plaqué contre ce mur et je m’attends à ce qu’il essaie de m’étrangler ou à ce qu’un coup tombe mais Damian se retient. Il y a définitivement quelque chose qui cloche et visiblement c’est moi qui déclenche ses sautes d’humeur. L’ironie du sort veut que celui que j’ai envie de serrer dans mes bras soit celui que je ne puisse pas toucher. Je ne cherche plus le contact lorsqu’il me relâche et je mets de la distance entre nous, autant ne pas tenter le diable. Je n’ai surtout pas envie de le faire fuir. Mais cette distance… Bon sang je ne la supporte pas ! Pourquoi t’éloignes-tu autant Damian ? Pendant un instant j’ai même peur qu’il parte alors je commence à m’approcher mais il m’arrête avant de se glisser le long du mur. Si je n’insiste pas, c’est parce que je sais qu’il n’a pas l’intention de partir alors qu’il s’est assis là.

Je suis dangereux quand tu es proche de moi… Ces mots me serrent le cœur mais je n’en montre rien. A force d’être proche de Garrett, j’ai fini par apprendre à cacher mes sentiments lorsqu’il le faut. Je ne suis pas aussi doué que vous pour cela, mais j’essaie au moins de ne plus être un livre ouvert. Je finis par me laisser glisser le long du mur moi aussi, celui en face de Damian. A défaut de pouvoir le toucher, au moins je peux continuer de le regarder. Son regard se relève dans le mien et il finit par prononcer ces mots : je suis mort, plusieurs fois. Mon cœur se serre à nouveau. Pourquoi ? Pourquoi font-ils cela ? Pourquoi sont-ils aussi cruels avec nous ? Explique-moi Damian. Qu’est-ce qu’on leur a fait au juste tous les trois ? Ce n’est pas juste. Les choses ne devraient pas se dérouler de cette façon.

« Je t’interdis de dire ça. » La gorge serrée, les poings fermés, je regarde Damian droit dans les yeux lorsque je prononce ces mots. Tu n’as pas le droit de dire que tu aurais dû mourir. « Tu mérites de vivre, toi bien plus que personne d’autre et tu n’as pas le droit d’en douter. » Je déteste que tu doutes de cela, surtout à cause de moi. Qu’importe que tu me mettes en danger, je suis condamné à mourir de toute façon. Peut-être que ça aiderait que je te dise ces mots ? Non, je ne crois pas alors je garde cette vérité pour moi. « Je ne suis plus aussi fragile Damian, tu ne me casseras pas avec un placage ou deux. » Comme tu as pu le remarquer ce soir, mes os sont devenus plus solides. « Mais si demain je devais mourir, je préférais que ce soit en ayant passé le plus de temps possible à tes côtés et aux côtés de Garrett que sans l’un de vous deux. » Et j’aimerais que tu comprennes ces mots Damian, car ce sont les paroles d’un condamné en train de faire le vœu qui lui est le plus cher. Ne brise pas ce vœu.

Je baisse mon regard, triture mes doigts entre eux et reprends la parole. « Je ne sais pas trop quel est le problème avec moi mais on trouvera, pas vrai ? » Tant qu’on est une équipe on parvient à remonter tous les défis. Il faut qu’on redevienne une équipe. « On fera en sorte d’arranger ça. On se doit au moins d’essayer. » Je n’ai toujours pas relevé mon regard vers lui parce que je crains qu’il ne refuse. Je crains que ce ne soit la dernière fois que je le revois et je ne pourrais pas supporter cela. « J’ai besoin de toi dans ma vie, Damian… » Au fond tu l’as toujours su, mais peut-être que tu prendras plus conscience de ce fait maintenant que je l’ai dit à voix haute. Ne disparais pas à nouveau…